Un cadre pour durer

« S’il faut des cadres, il faut aussi des charnières »

Est-ce vraiment une performance que de vivre la foi chrétienne sans un encadrement solide ? Isolés et en plein vent, sans rendez-vous fixes, sans règles déterminées et exigeantes, sans clergé voué à la vie évangélique et à la communauté, les fidèles peuvent-ils durer dans la foi en la mettant en oeuvre avec enthousiasme ? A croire quelques personnes que je viens de rencontrer, le pari semble au-dessus de leur force. Sans stimulation, sans rappel, sans consignes, elles estiment que, malgré leur véritable désir, elles n’aboutissent qu’à un essoufflement du dynamisme spirituel.

Certaines vont même jusqu’à penser que, dans son ordre spécifique, la vie professionnelle les stimule uniquement parce qu’elle est organisée selon des rythmes et des horaires, qu’elle comporte une « production », qu’elle suscite une émulation, qu’elle rapporte de quoi vivre. Autrement, comme la foi, elle se perdrait dans les sables. La nature humaine réclame-t-elle une structure forte pour s’épanouir ? Tout se passe comme si la dimension collective pouvait seule maintenir en vie le désir personnel. Les meilleurs sentiments et la plus fine idéologie qui ne s’incarnent pas dans une institution forte deviennent aléatoires et s’effacent progressivement.

Même si je ne partage pas du tout ce point de vue, je dois admettre que les faits semblent donner raison à mes interlocuteurs. Le retour en force des intégrismes, des pèlerinages, des oeuvres caritatives, des actions démesurées (tels que les commandos IVG.) apportent de l’eau à leur moulin. Les quelques jeunes chrétiens que je rencontre sont dévorés par l’organisation, montent des fêtes, secourent « Pierre et Pierrette ». S’ils n’entrent pas dans ce type de démarche, ils se greffent sur un groupe « plein de propositions ». On invente, on recrute, on bâtit avec un tel désintéressement de soi que des individus fragiles connaissent parfois des effondrements de personnalité. Qu’importe, on entre dans la sélection naturelle !

Le démon  me tente aussi ! Devant la misère pastorale et les échecs qui frappent même les communautés confessantes qui ne confessent plus hardiment, devant les difficultés de la proposition de la foi au Christ, devant la raréfaction des « vocations » des « permanents » prêtres ou laïcs, devant l’amenuisement de la véritable aumône, devant la disette eucharistique, je m’interroge sur mon réalisme apostolique et « ma force » de proposition !

Depuis des millénaires, le peuple préfère Aaron à Moïse. D’ailleurs, que fait-il là-haut dans ce Sinaï mystérieux où gronde le tonnerre ? Il faut mieux organiser la religion, et le peuple généreux va se dépouiller de ses bracelets individuels pour fondre le veau d’or collectif entouré de iérophantes.

Après le séjour au désert qui l’avait confronté au Tentateur qui promet monts et merveilles, Jésus en appelle douze. Pendant des mois et des années, il s’efforce de les faire vivre en frères pour qu’ils ne s’entre-déchirent pas. Il prie avec eux, pour eux. Leur conversion au sein de leurs défauts sera missionnaire !

En fin de compte? une poignée de couards enfermée dans une maison calfeutrée. Seule la puissance de l’Esprit ouvrit portes et fenêtres et, depuis les chrétiens, vivent dans le courant d’air. S’il faut des cadres, il faut aussi des charnières.