« Il courait devant et, lassé par son effort et sa lucidité, il s’effondrait avant que les autres ne l’aient rejoint »
Il y a longtemps que je désirai lire l’ouvrage d’Albert Houtin sur Charles Loison, en religion le Père Yacinthe. Étrange histoire que celle de cet homme qui, dévoré par un idéal de pureté, passe sa vie à être déçu. La désillusion l’habite presque jusqu’à l’écoeurement, au dégoût. Il mettait tant d’espoir dans les institutions et les personnes que, lorsqu’il les approchait, il tombait de haut et se meurtrissait aux dures arêtes de la réalité. Son rêve s’évanouissait. Il connaissait alors un tel malaise que la fuite s’imposait.
J’hésite à écrire qu’il fut un « saint ». Il désirait trop être « parfait ». Il vécut dans une telle honnêteté vis-à-vis de lui-même et de l’Église romaine qu’il avait de la peine à se fréquenter lui-même et à être un prêtre ordinaire. Tout était trop étroit. Il n’en finissait pas d’être sincère.
Tour à tour séminariste généreux et exigeant, prêtre de Saint Sulpice, dominicain, carme déchaussé, puis époux, père de famille. La passion de faire mieux ne le déserta jamais. Il ne désirait qu’une chose : devenir meilleur et réformer ce qui n’allait pas. Vaste programme, mais projet déstabilisateur si l’inquiétude s’ajoute au désir de promptitude.
Certes, il rencontra des situations ecclésiales étranges, baroques, voire délétères. Il ne put les supporter, tant elles lui semblaient éloignées de l’Evangile et de la « perfection » de la vie religieuse. Il prêchait remarquablement. Son émotion jointe à une vaste culture transportait ses auditeurs. Audacieux et libre, il parlait de l’abondance du coeur. L’Evangile lui dictait les mots justes et adaptés aux affamés du Verbe de Dieu.
De la chaire de Notre-Dame, il s’adressait aux grands de ce monde. Il sut être libéral dans une Église catholique tentée en France par l’ordre moral. Bref, un homme attachant, mais inadapté aux lenteurs de l’évolution des sociétés et de l’Église. Il courait devant et, lassé par son effort et sa lucidité, il s’effondrait avant que les autres ne l’aient rejoint.
Dégoutté, essoufflé, rêvant de réformes justes mais impossibles parce qu’excessives, il cesse son ministère mais, jusqu’à sa mort, signe les grandes lettres où il résume son existence : « Prêtre solitaire de l’Église des hommes et des mondes ».
Né en mars 1827, mort en février 1912, durant 85 ans, le désir de perfection le retient prisonnier de l’insatisfaction. Jamais assez digne, il hésite sans cesse à s’engager car il redoute de trahir son idéal. Il n’aime pas écrire car ses phrases n’expriment pas suffisamment la contemplation intense qu’il vit en permanence. Homme de la grandeur de Dieu, il ne goûte pas la grâce de la vivre chaque jour dans l’approximation humaine.
Il mourut comme tout le monde. Il présenta au Seigneur sa tension intérieure. Ce lui fut sans aucun doute, miséricorde.
24 juillet 1995
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