À genoux

« Les attitudes corporelles ont un rôle analogue à la parole. Ils expriment, explicitent, signifient et font exister une dimension qui échappe bien souvent à la conscience »

L’été je prends des vacances à l’envers. Plus que pendant les autres mois de l’année, j’expérimente le silence. Je prends le temps de fréquenter le désoeuvrement et n’essaye point de m’occuper. Je vis au ralenti et tente de peser à leur juste poids les événements et les menus faits de la vie journalière. Certains s’évanouissent avant de passer au trébuchet, d’autres me haussent les épaules, une troisième catégorie sollicite une réflexion…

Sauf en des lieux publics ou quand la liturgie le réclame, je me mets peu à genoux chez moi pour prier. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un refus calculé ou d’une raideur maligne face à Dieu ; l’amour de Dieu ne me jette pas à genoux, l’imploration de sa miséricorde ne m’agenouille pas ou peu ! Mon corps ne suit pas mes sentiments religieux : trop de pudeur ? trop de distance ? trop de fatigue ?  Il se pourrait que ma forme d’offrande ou d’adoration ne se retrouve pas dans la prostration. Je préfère la position assise comme si j’avais besoin d’être à l’aise pour m’approcher du mystère exigeant. Le combat, pour moi, réclame une position rassemblée pour laisser peu de prises à l’ennemi.

Je crois pourtant que les gestes favorisent la prière, souvent l’expriment et même la génèrent. Les mains jointes, les bras au ciel, les yeux fermés, l’assise au ras-du-sol sur un banc de prière… Autant d’attitudes qui disent chacune quelque chose des sentiments et invoquent les unes et les autres, d’une manière originale, la majesté de Dieu.

Je suis certain que la prière n’existe que dans et avec le corps ; bien plus qu’un moyen à la disposition d’une âme, le corps est personne humaine et ce qu’il accomplit engage tout l’être. A moins d’une dissociation pathologique, les gestes ne sont pas des dégradés de la pensée. Leur gaucherie, leur raideur, leur beauté, leur délicatesse, mettent au monde ce que nous sommes. Les attitudes corporelles ont un rôle analogue à la parole. Ils expriment, explicitent, signifient et font exister une dimension qui échappe bien souvent à la conscience. A mon sens, cela se vérifie non seulement dans l’expression individuelle de la prière, mais aussi dans les célébrations liturgiques collectives.

Je redoute que les « rubriques », les « figures imposées » ou les « canons », briment trop le jaillissement personnel de la foi ou ne standardisent d’une manière excessive les célébrations populaires.

A Lyon, notre service de liturgie sait admirablement indigéniser les moments forts de la foi du diocèse. Les funérailles d’Albert Decourtray ou l’intronisation de Jean Balland sont des « chefs d’oeuvre » liturgiques. Mais que de travail pour les préparer !