Facettes et unité

« C’est le choix qui fait l’unité d’une vie et non point la connaissance exhaustive de toutes les facettes de soi-même »

Dans ma vie, j’ai rencontré, écouté et compris beaucoup de personnes. Avec conscience professionnelle, sympathie et affection, j’ai cheminé parfois de nombreuses années avec telles ou telles. Dans la discrétion, mon ministère m’a conduit à être le témoin d’existences très différentes les unes des autres. La simplicité des dialogues, le refus du mensonge, la confiance réciproque, la foi commune, m’autorisent à dire que j’ai bien connu la plupart de ceux et de celles qui venaient parler régulièrement avec moi.

Et pourtant, plus je vieillis, plus je découvre en chacune des personnes rencontrées des aspects nouveaux. Ils me déconcertent parce que je ne les soupçonnais pas. Au détour d’un événement raconté, ils surgissent et montrent une facette inconnue de la personnalité. Jusqu’où cela peut aller ? Vraisemblablement, l’acte de mourir révélera la dernière.

Je ne pense pas mes interlocuteurs doubles ou menteurs. Ils sont tout simplement personnes humaines, uniques et multiples à la fois. Bien souvent, c’est en parlant ou en posant un acte qu’ils découvrent un aspect d’eux-mêmes qu’ils n’avaient pas expérimenté et qui restait caché pour eux. La vie les initie à eux-mêmes.

Je n’estime pas que cet inventaire permanent empêche les décisions graves et déterminantes. Mais comment en effet choisir paisiblement un état de vie, mariage, célibat, consécration, si l’on chemine dans l’inconnu et l’incertain ? Peut-on arrêter une situation permanente alors que l’on n’a pas achevé le tour de sa personnalité ? Un regard plus approfondi ne va-t-il pas montrer un vice de forme qui rend inapte à telle démarche durable ?

Bien sûr, tout est possible dans la noria des investigations personnelles, mais l’honnêteté, la simplicité, l’humilité permettent une approche clairvoyante de soi-même. On sait qui on est même si l’on ne connaît pas le tout de soi. On a déjà suffisamment arpenté son unicité pour ne pas se laisser troubler par une nouvelle approche révélatrice de sa multiplicité.

Nous n’aurons jamais la maîtrise absolue de nous-mêmes. L’équation de notre tempérament comporte beaucoup d’inconnues. Mais la réflexion, le silence, le dialogue, la lecture, la contemplation, donnent assez d’outils d’analyse pour exercer une liberté lucide et responsable.

 Je suis presque certain que, dans chaque vie, il y a une montée, un seuil et un palier pour une mise en œuvre nouvelle. La décision prise au bon moment permettra de sortir de la captivité des hésitations. Tout cela n’est pas sans risque, mais choisir revêt moins de danger que de rester en suspens parce que l’on n’a pas encore achevé de se connaître. Il vaut mieux se tromper que de moisir indécis et inquiet. La cohérence de la personnalité ne relève pas d’une addition et d’un agencement d’éléments, mais d’un choix humble, posé dans l’incertitude du temps. C’est le choix qui fait l’unité d’une vie et non point la connaissance exhaustive de toutes les facettes de soi-même.