« Dans la foi, donner sa vie n’est pas un remplacement, un complément, mais une oblation significative pleine d’élan, même si elle se vit dans l’humilité ou dans l’obscurité d’une tâche anonyme »
Mon ministère me conduit à écouter des religieux et des religieuses. Beaucoup tiennent dans notre diocèse une fonction d’animateurs laïques en pastorale. Je rencontre plus rarement des supérieurs majeurs ou c’est pour règler des problèmes d’ordre institutionnel.
En fait, un très petit nombre de religieux ou religieuses me parlent de leur communauté, de leur congrégation, de leur projet religieux, de leur audace évangélique. Presque toujours, je dois, moi-même, conduire la discussion sur leur place originale dans l’Église. Tout se passe comme si à priori ils se camouflaient, de peur que le diocèse ne leur mette la main dessus et ne les distraie de leur mission propre. Comment expliquer cette attitude ?
Si j’examine mes derniers entretiens avec des femmes consacrées responsables d’instituts, je dois admettre qu’elles venaient me demander d’arranger leur situation pastorale pour un plus grand confort personnel, psychologique ou social. L’aspect ecclésial disparaît derrière la montagne de tâches qu’elles exercent avec l’ardeur de leur foi et de leur compétence. Extérieurement, tout se passe comme si la vie religieuse n’apportait qu’une dynamique secondaire à leur ministère. Abordant un responsable diocésain, elles en restent à ce qu’elles jugent de mon ressort : le fonctionnement ministériel.
Dans les rendez-vous récents, j’ai eu beaucoup de mal à situer le vrai débat sur le prophétisme religieux, la disponibilité envers les pauvres, le charisme collectif de leur communauté, le souffle spécifique qu’elles apportent à l’Église et donc au diocèse. L’office qu’elles occupent ne change pas d’allure, ni de contenu lorsqu’elles succèdent à un permanent laïc. En fait, elles ne laissent percevoir que l’aspect public de leur vie. Rien de leur vie privée communautaire ne saute aux yeux. La discrétion conduit à penser qu’il serait incongru de pénétrer dans ce qui explique pourtant leur présence dans le diocèse de Lyon. L’impasse !
Il y a une dichotomie entre oblation personnelle au sein d’une congrégation et « ministère » qu’exerce la soeur, le frère ou le père. Les exemples fourmillent et s’expliquent de mille manières. Sagit-il d’un simple malentendu ou d’une méconnaissance totale réciproque ? Les lois économiques du marché pastoral, l’aridité diocésaine pour trouver des « ministres », l’indigence de la formation, le manque de rigueur d’une communauté, la faiblesse d’une vie religieuse trop éloignée de sa source, l’absence de dialogue habituel et de relation mutuelle peuvent apporter une explication à ce dysfonctionnement pernicieux.
Il se pourrait pourtant qu’il faille rechercher ailleurs la vraie raison. Je la résumerai en un mot très vilain : appoint (« ce qui s’ajoute à quelque chose pour la compléter »). Si jamais nous en étions là, il faudrait rapidement faire pénitence et demander à Dieu de nous guérir de notre noirceur.
Si, pour un diocèse, l’apport des religieux et des religieuses n’est qu’un appoint, il ne faut pas s’étonner que les vocations se tarissent, les ordres se meurent et l’Église se languisse.
Dans la foi, donner sa vie n’est pas un remplacement, un complément, mais une oblation significative pleine d’élan, même si elle se vit dans l’humilité ou dans l’obscurité d’une tâche anonyme.
Dans quelques semaines, je vais rencontrer la conférence régionale des supérieurs majeurs. Je ne manquerai pas d’aborder ce sujet.
15 juillet 1995
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