Obsession de la pureté

« L’Église chrétienne est un rassemblement de pécheurs pardonnés, à chaque instant, par la miséricorde bienveillante de Dieu »

Le journal Le Monde annonce que la Banque de France renonce à faire imprimer les visages des frères Lumière sur les futurs billets de 200 fr. Les deux Lyonnais avaient, dit-on, été proches des courants collaborateurs pendant la guerre 1939-1945. On mettra, à la place des inventeurs du cinéma, l’effigie de Gustave Eiffel. Tout de suite, des esprits chagrins ont fait remarquer que ce dernier avait été plus ou moins compromis au moment de l’affaire scandaleuse du Canal de Panama. Les sommités ont décidé de l’absoudre et de passer outre à une affaire vieille de plus de cent ans, où d’ailleurs une partie notable des parlementaires de l’époque avait allègrement trempé.

Mais qu’importe ! Ce qui m’interroge, c’est l’obsession de la pureté. A ne chercher que des parfaits, on ne trouvera personne à donner en modèle. Je ne prône pas la magouille, mais je plaide pour que l’on n’épluche pas trop la vie de nos grands hommes. A vouloir épousseter avec trop de vigueur les statues de ceux qui ont marqué leur temps, on risque bien, non seulement d’user le plumeau, mais de casser la statue. La crasse fait partie de la vie. Je redoute la manie de la propreté morale. Elle fleure trop l’hypocrisie. Je souhaite que les censeurs qui jettent l’anathème ne deviennent pas des tartufes modernes.

Même si les saints pèchent au moins sept fois par jour, l’Église les donne en modèle. Ils sont justement désirables parce qu’ils sont imparfaits. L’État laïc et les journaux censeurs devraient se souvenir de la sagesse romaine. Ma grand-mère rapportait à ce propos : « Il vaut mieux un fou fait qu’un fou à faire ». Ce qui revient à dire qu’un converti qui a pris la mesure de son péché vaut mieux qu’un orgueilleux qui, du fait de sa rigidité, est exposé aux pires turpitudes à venir.

Il en est ainsi de l’expérience missionnaire selon l’Évangile. Une Église de parfaits n’est pas celle du Christ. L’Église chrétienne est un rassemblement de pécheurs pardonnés, à chaque instant, par la miséricorde bienveillante de Dieu. Les statues qui ornent nos églises ou les fresques qui enrichissent nos plafonds et nos murailles représentent bien souvent des pécheurs sauvés par la tendresse du Christ. En vérité, il est loisible quelquefois de raconter sur eux les pires choses !

Si Saint Pierre peut devenir icône de sainteté, les frères Lumière peuvent bien figurer sur les billets de Mamon.