« La prière demande plus de volonté (et donc d’amour) que de sentiment, d’émotion et de repli sur soi »
Quelquefois, lorsque je préside une célébration, je suis paisible mais extérieur à l’action, comme si tout se déroulait avec moi et sans moi. Mon degré d’implication et ma présence affective tangentent à zéro. Je consens de tout cœur, mais je suis plus spectateur qu’acteur. Je me prête volontiers à une liturgie, elle ne surgit pas de moi.
D’où cela vient-il ? Un manque de préparation intérieure peut expliquer ce phénomène psychologique. Une capacité spirituelle émoussée par la répétition ou une ardeur spirituelle moindre peuvent aussi contribuer à affaiblir l’intensité d’une présence.
La non-préparation pratique avec une communauté peut gommer tout plaisir. Sans inquiétude, j’interviens quand il faut, où l’on me dit de dire. Je suis agi plus que je n’agis. La célébration, plus celle d’un peuple que du célébrant, m’échappe et me conduit à la tentation de moins m’impliquer.
Ce risque est tout à fait présent quand la communauté elle-même habituellement préparée produit des interventions de haute qualité. Quand tous célèbrent, chacun assiste. La liturgie plus communautaire conduit le célébrant à un acte de foi renouvelé, plus vrai, moins impliqué, plus juste, plus proportionné, moins violent, plus collectif, moins individuel… Certains diraient le dépossède!
Est-ce un manque, un assoupissement de l’âme et du cœur ? Je préfère penser qu’il s’agit d’un progrès spirituel et d’une purification des sentiments pour un acte d’amour de Dieu plus dépouillé et sans illusion. Quoiqu’on pense, cette démarche se fait en nous et presque sans nous. On y est conduit comme par grâce. La prière demande plus de volonté (et donc d’amour) que de sentiment, d’émotion et de repli sur soi.
Il n’en reste pas moins qu’il convient de vérifier cette nouveauté par d’autres paramètres spirituels : la vie d’oraison, la fréquentation de la Parole, l’offrande quotidienne, le regard d’amour sur autrui, le pardon réciproque, la relecture des événements au sein d’une communauté confessante. L’expression liturgique entre dans un ensemble chrétien aussi bien intime, privé que public. C’est à tous les niveaux de l’humanité que l’on doit s’assurer que l’Évangile du Christ a bien pris ses racines.
Enfin le critère suprême s’articule autour de la mission apostolique. Appelons-nous d’autres à connaître Jésus, à faire Église à leur manière catéchuménale? Si oui, la miséricorde de Dieu repose sur nous, l’Esprit nous a saisis.
20 juin 1995
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