« J’ai déjeuné à l’Archevêché avec un évêque japonais«
Je note quelques chiffres symptomatiques. Le Japon, c’est 120 millions d’habitants, 400.000 catholiques, 18 évêques et 7.000 religieuses. Dans le diocèse de notre interlocuteur, il y a 12 millions d’habitants, 15.000 catholiques, 65 prêtres et 150 religieuses (presque toutes contemplatives).
Ces 400.000 catholiques du Japon sont entourés de 20 millions de « sympathisants » – terme curieux et intéressant -. Ces hommes et ces femmes ne se font pas baptiser ; en eux coexiste l’attachement à plusieurs religions : d’une part, le bouddhisme et le shintoïsme et, d’autre part, le christianisme. Dans cette très vaste zone de « sympathisants » s’ébauchent des catéchèses de toutes sortes.
Les rencontres religieuses, liturgiques pour la plupart, sont festives et attirent beaucoup de monde. C’est ainsi que, quatre semaines avant Noël, le Japon, pas du tout chrétien, prépare Noël. C’est une grande fête commerciale mais, le jour de Noël, beaucoup de gens viennent à la messe. Certes, ils sont plus ou moins attachés au christianisme, mais c’est la fête.
Cette notion de « sympathisants » est à mon sens très important dans un monde totalement païen. Comment en effet devenir chrétien d’un seul coup ? Ce n’est certainement pas le chemin habituel. Il faut sans doute piétiner dans l’incroyance et dans le désir d’en sortir avant de demander le baptême. Lorsque l’Église est franchement minoritaire dans une culture non imprégnée de christianisme, les frontières sont nettes et on ne les franchit pas aisément. Je me demande s’il ne serait pas bon de réinventer pour la vieille Europe ce statut de « sympathisants » qui précéderait celui de catéchumènes mais, pour cela, il faudrait une tout autre politique pastorale du baptême.
Dans la conversation, j’ai cru comprendre que les deux grandes questions pour l’Église qui est au Japon pouvaient se formuler de la manière suivante : l’excès de richesse et la révolte des enfants vis-à-vis de leurs parents.
Nous avons demandé à l’évêque s’il y avait des pauvres dans son pays. Il a eu l’air très étonné de notre question ; c’est une race qui n’a pas l’air d’exister au Japon. Pourtant, en cherchant bien, il a dit : « Ah si ! Il y a les journaliers qui n’ont qu’un travail sporadique… ». Il a ajouté qu’à un sondage très récent, 85 % de la population japonaise se reconnaissait de classe moyenne. A tort ou à raison, j’ai rapproché ce chiffre des 85 % de Français qui se disent appartenir à l’Église catholique… Serait-ce pour ces derniers la manière de dire qu’ils sont de la classe moyenne ?
A un moment du dialogue – pourquoi ? Je ne sais… – notre interlocuteur nous a demandé pardon d’être un peuple riche et avide de conquêtes économiques. Il nous a dit qu’au moins l’épiscopat du Japon se sentait responsable de la paupérisation du monde. L’esprit d’entreprise et la civilisation de la péremption règnent. On a à peine fini de créer des objets qu’ils sont déjà périmés… Il est urgent de les jeter pour en avoir de plus performants. Cette dynamique englobe pratiquement tout et efface depuis la dernière guerre toute interrogation métaphysique profonde…
L’évêque nous a même dit que le mot « éthique » n’avait pratiquement plus de sens en japonais. Les enfants se réconcilient avec les parents pour produire de la richesse et conquérir non seulement les marchés nationaux, mais internationaux. Une sorte de religion économique se met en place. Le virus américain a trouvé son développement maximum au Japon. Comme ce peuple s’était appliqué naguère à faire la guerre de toute son énergie, aujourd’hui, il produit et il vend…
L’évêque que j’ai rencontré a fait ses études à Rome. Il a eu un ministère dans les Nonciatures de Calcutta et du Brésil ; il parle le japonais, l’anglais, le français, l’allemand, l’espagnol, l’italien. Ce n’est pas étonnant que le cours du yen soit suivi dans toutes les capitales !
22 août 1985
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