Peurs et sévices

Dans la ZUP des Minguettes, les sévices auraient considérablement augmenté, peut-être doublé.

Les hommes se battent entre eux, les maris battent leurs femmes, les parents cognent sur les enfants, les enfants échangent des coups avec les enfants… Bref, l’agressivité semble à son comble.

Les travailleurs sociaux se déploient, la police patrouille, mais les gens continuent de se faire mal entre eux. Ils ne se supportent plus.

Bien-sûr, sociologues, psycho-sociologues, politologues, psychologues, criminologues et autres « logues », se régalent. Ils ont un lieu béni pour exercer leur profession et gagner leur vie. Ils analysent, ils pèsent, ils soupèsent, ils supputent et font des déclarations. Ils se réunissent entre eux, en parlent dans leurs syndicats et écrivent dans les revues spécialisées qu’ils sont seuls à lire.

Du lundi au vendredi, les travailleurs sociaux montent quelques escaliers, reçoivent quelques « clients » et font beaucoup de réunions pour échanger leurs impressions et se « réconforter ».

Le vendredi après-midi, ils partent le plus tôt possible pour le week-end le plus long possible. Et la solitude de cette ville sans magasin est encore exagérée par le poids des jours où le travail chôme.

Je n’en veux pas aux travailleurs sociaux et à leurs séides : je suis certain qu’ils sont indispensables et que leur efficacité, même impondérable, est grande.

La nation en a besoin. C’est un témoignage d’espérance qu’elle se donne à elle-même : si l’on paie des gens, cela veut dire – dans le concret – que l’on se refuse à baisser les bras. Leur présence veut dire : tout n’est pas foutu, il y a quelque chose à faire, même si on ne voit pas bien quoi.

Ils n’empêcheront pas les sévices. Je sais qu’ils ne sont ni des surhommes, ni des surfemmes, et qu’ils portent en eux les mêmes instincts que tous, mais :

Ils ne savent pas que faire, ils ont peur et, pourtant, je souhaite qu’ils soient là, témoins d’un impossible, non pas pour fermer des plaies ni pour empêcher qu’elles s’infectent, mais que le poids de la condition humaine ne conduise pas la société au suicide.