Je vais voir ma marraine.
Chaque fois que j’entre dans cet hôpital où sont rassemblés un grand nombre de vieillards, un double sentiment m’agite :
Ma marraine est une femme actuellement d’une grande paix, qui vit les jours avec une sérénité parfaite, pleine de sourires, d’accueil. Sans jugement, avec bonté, elle reçoit ses visiteurs.
Cette femme qui, dit-on, était vêtue comme une gravure de mode lors de sa vie active, est maintenant habillée parfois sans goût ni grâce : pantoufles éculées, bas déchirés, pulls troués. Bref, cette « dame » a relativisé vraisemblablement toute chose et vit autrement un essentiel que je ne connais pas.
Mais lors de ma dernière visite, j’ai été bouleversé. Elle était bien peignée, mais son chignon était tressé au moyen de sa jarretière ! Ce n’est vraisemblablement pas elle qui a pu faire cela, mais le personnel.
Que ma marraine puisse s’entortiller sa jarretière dans les cheveux pour les faire tenir, cela m’a semblé le comble du dérisoire et du burlesque ! C’était la consommation du naufrage et je redoute que le personnel n’y ait contribué, à moins que, navigant habituellement avec ces bons vieillards, il ait sombré avec eux !
Curieuse odyssée que l’histoire humaine. Après s’être arraché des chimères et des sirènes de la vie active, on atteint au paroxysme de la bouffonnerie, au point que seules les larmes peuvent exprimer le désarroi.
A moins d’un accident de la route – ou d’une maladie grave -, nous connaîtrons à notre tour cette situation où s’exprime un aspect de la réalité humaine.
15 mai 1978
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