Travaux forcés à perpétuité

« Les bagnards échappaient à la mort mais les hommes avaient organisé pour eux l’enfer »

Quand j’étais enfant, les assassins ou autres malandrins qui échappaient à la guillotine se voyaient condamnés aux « travaux forcés à perpétuité ». Quelle horreur!

Être forcé par toutes les contraintes propres aux gardes chiourmes à exécuter un travail qui requiert toute sa force semble une punition excessive. On pousse l’être humain à aller jusqu’à ses limites extrêmes pour produire de la pénitence. La justice populaire le met dans une sorte de prison pour, avec d’autres « punis » sous la surveillance de gardes spécialistes de « forçats », travailler durement.

Sous la contrainte, ils ne choisissent pas leurs occupations. On ne tient pas compte de leur désir. Ils sont reclus et exclus et, toujours, ils exécutent ce qu’on leur commande, sans leur demander leur avis. En plus du manque de liberté, il y a obligation d’effectuer une tâche pénible imposée. Les bagnards échappaient à la mort mais les hommes avaient organisé pour eux l’enfer.

Et pour en rajouter et que la perpétuité dure aussi longtemps que les condamnés, on entassait ces derniers sur quelques îles des antipodes ou des tropiques. À tout jamais relégués. Ils ne pouvaient s’échapper, ils ne pouvaient en réchapper.

À ce métier de « damnés », point de retraite. On mourait au travail et l’on changeait alors de perpétuité. J’espère que, dans la tendresse et comme pour rétablir la justice, l’éternité en Dieu était reposante et somptueuse. Et que les « condamnés » devenaient des « élus ».

En frémissant, j’ai rédigé ces lignes, parce qu’à longueur de journée, je rencontre des « condamnés » au travail qui gémissent comme des casseurs de pierre exposés au soleil et dévorés par la soif. Ils ne sont ni bagnards, ni damnés, mais tout se passe comme si, ficelés dans les rets de leur profession, ils étaient « essorés » de liberté. Certes, ils ne sont pas sur le « caillou » des mers chaudes. Mais, quand ils se déplacent, ils entendent le bruit de leur chaîne. Ils n’ont point de « matons » pour les mâter, mais ils se gardent eux-mêmes dans la perpétuité qu’ils semblent eux-mêmes s’imposer.

Est-ce leur conscience propre qui les emprisonne ? Préfèrent-ils le bagne sécuritaire à la liberté incertaine ? Sont-ils prisonniers d’une conscience collective et d’une société aliénante ? Ont-ils besoin d’un salaire minimum ? Sont-ils ficelés par des emprunts ? Choisissent-ils une tâche pour avoir une raison d’être ?

Je crois me souvenir que, dans le livre de Georghiu : « La vingt-cinquième heure », le « prisonnier-libre » saluait plusieurs fois par jour ses compagnons par l’exclamation : « Salut, esclave ! »

Je sais l’ambiguïté de la chose sociale et politique, l’ambivalence de nos coeurs et de nos consciences. Je sais que la liberté ne s’enferme pas dans un lieu ou dans un « état » qu’il faudrait rejoindre coûte que coûte pour échapper à la condamnation perpétuelle du travail. Je sais que la liberté consiste à desserrer l’étau des obligations que nous nous sommes imposées. Mais c’est un rude travail.

Je ne sais même pas si, tout seul, on peut y parvenir !