Tune, de son vrai nom « Fortune », est un chien… et pas un homme !
Son propriétaire « Glaudius » l’a tellement appelé des heures durant et en vain dans le bois « Garin » que les échos ont fini par assimiler le chien et son patron-chasseur.
Glaudius m’invita un jour à me joindre à son équipage composé d’un unique courant. Bien gorgé, il aboyait à lui seul comme une meute de beagles. Jamais en notes aiguës, toujours en graves, les sons de sa voix s’enroulaient aux arbres comme une écharpe de mélancolie. Rien de séraphique, mais une plainte diabolique, venue du profond de la terre.
En passant par le chemin de la « corniche », après avoir laissé à notre gauche le sentier des « rapaces », nous entrons dans le fouillis du bois Garin. On pouvait penser que tous les lapins du monde s’étaient donnés rendez-vous dans l’épaisseur du taillis. Ils auraient d’ailleurs bien pu nous frôler, voire nous renverser, sans que nous puissions les voir. Tune menait sans perdre son souffle, il courrait peut-être après le vent. « Il cagnoule sur les frais » disait parfois Glaudius…
Empêtrés dans le couvert, nous sommes restés un temps si long que les montres ne marquaient plus les heures. Elles tournaient à vide. Tune menait, encore et toujours…
En fait, je n’ai compris qu’après que nous n’étions pas allés à la chasse, mais au concert. Tune tenait le rôle-vedette de baryton solo. Pauvre bête ! Il devait avoir la gorge sèche, car il n’a pas arrêté un seul instant. En haut, en bas, au milieu, il menait. Il roulait sa voix ; quand il gagnait du terrain sur le lapin, il entonnait le grand air de la « Tosca ».
Au bout d’un long moment, envoûté par la musique, pétrifié par l’attention, frigorifié par l’humidité, j’entends Glaudius me crier : « On rentre ! ». Je redescends sur terre et me faufile jusqu’au chemin qui fait la limite avec Saint-Romain, juste en dessus de la source des « Gambins ».
Glaudius et moi, nous nous retrouvons à la lisière, mais le chien n’avait pas encore achevé le « grand aria ». Il restait plusieurs pages à la partition. Nous avons donc attendu que le courant veuille bien cesser de courir. Toutes les deux minutes, mon camarade criait : « Tune, vient vite ! Là ! Là ! Là ! ». Tune menait, Glaudius s’époumonait. Les chœurs se répondaient.
Quarante minutes après, nous avons repris le chemin de la corniche. Le Tune nous a rejoint chez la « Quine » où nous nous étions arrêtés pour qu’elle nous offre un verre de vin chaud . Comme d’habitude, elle ponctua sa conversation de son expression spécifique : « Oh bin là là ! »
Ce jour-là, j’ai appris, d’une part, la patience en me gelant au poste et, d’autre part, l’inutilité d’emmener des cartouches pour aller chasser au bois Garin. Plus tard, décryptant mes humeurs inconscientes, j’ai cerné en moi d’où venait mon dégoût de la chasse aux chiens courants.
Bien involontairement, Glaudius m’a mis au monde de la billebaude. Tant pis pour le concert, je préfère marcher en silence avec des amis, même si l’on fait « buisson creux ».
27 décembre 2004
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