Quand, en son absence, nous parlions de lui, nous le nommions le « Miaulant ». Mais, devant lui, nous, les plus jeunes, lui disions « Monsieur », nous le vouvoyions et nous évitions bien de l’affubler de son surnom sans pitié pour ses remarques brèves et mordantes. Tout en lui portait au respect. Ses copains et ses conscrits l’appelaient Louis.
Grand, sec, peu bavard, pas du tout démonstratif, il parlait avec une grammaire à lui. Il distribuait souverainement les masculins et les féminins. Ses phrases étaient des raccourcis d’images, des sortes de sentences. Il marchait à pas comptés et ne semblait jamais vaincu par la lassitude. Si, dans un conversation il n’était pas d’accord, point de colère apparente, pas d’insulte, mais un silence réprobateur gelait la débat.
Au retour de la Grande Guerre, il avait épousé « la » Maria. De leur union était né mon ami René qui m’a tant appris en beaucoup de domaines,. Lui, ce ne fut pas un maître, mais un frère…
Apparemment le Miaulant avait deux passions :
Quand il m’ invitait à le suivre, soit au bois des Brosses, soit dans la terre à Gayet, soit aux Fichournes, soit dans les « araignées » à Goyat, j’étais très fier, comme si j’entrais à Normal-sup. J’étais à bonne école : je n’avais qu’à regarder pour apprendre.
Lorsque nous marchions côte à côte, il ne parlait pas, mais grommelait. Il mâchouillait généralement un brin d’herbe ou un bout d’allumette. Nous allions au poste en silence comme des moines vont faner. Nous étions en oraison cynégétique.
Une fois, vers dix-sept heures, il m’invita à me joindre à lui et à ses deux chiens : la Rita et le Popo. Ce dernier hurlait comme une sirène et mordait tous les chiens qu’il rencontrait. Le Miaulant m’entraîna donc cette fin d’après midi, vers les vignes de la Toûne, et me plaça dans le chemin au pied du « grand if ». Lui, il entra dans les buis. Je ne voyais que le haut de son corps qui dépassait la frondaison. Il dominait la situation. Son large chapeau en feutre noir pouvait laisser penser que nous allions vers une exécution capitale. Les chiens donnaient de la voix. Moi je tremblais.
Tout à coup, une « squelettique » de lapin gicle devant moi et grimpe le chemin. Je lui fais les sommations d’usage, je tire deux fois et je manque deux fois.
De loin, Miaulant cria : « C’est mort ? »
Je répondis « Non ! » et, pour mon malheur, j’ai ajouté : « Ce n’était qu’un une crevure de lapin ».
De la bouche de mon maître tomba la formule tranchante comme un couperet : « Gros ou petit ! Si on touche, on tue ! ».
Nous avons continué de chasser, je suppliais les anges et les saints qu’aucun lapin ne déboule de mon côté… Je fus exaucé !
Bien plus tard, une vingtaine d’années après, vers la fin de sa vie, perclus de rhumatismes, Miaulant ne chassait plus… Tristesse.
René nous dit : « Venez ! On va montrer le gibier au Père ! »
Le soir, quand nous rentrions de l’Ain ou de la Saône-et-Loire où avec quatre copains nous avions nos habitudes, nous passions le voir pour lui rendre compte du tableau de la journée. Une fois, son fils René, mon ami, n’avait pas pu venir en Dombes avec nous, les quatre partenaires habituels. Nous avions fait « gras » et avions décidé de faire le « décarpillage » à Saint-Cyr.
En procession, nous entrons dans la chambre. Louis nous regarde et s’adresse à son fils : « Alors, y faut qu’on t’y tue, maintenant ! ».
Ce fut la phrase qu’il me laissa en testament.
Quelques semaines après il mourut.
25 décembre 2004
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