Ch. 17 – L’inauguration du « parfum »

A cette époque, la chasse au gibier d’eau durait jusqu’à la fin février. Elle fermait progressivement. Entrebâillée, elle permettait aux chasseurs de se promener avec un fusil pour tirer, tantôt un milouin, tantôt un petit échassier. Il fallait discerner et éviter de tirer mâles et femelles  « Colvert » qui volaient en couple depuis la mi janvier.

En ce temps-là, les hivers rigoureux débutaient en décembre. Les étangs gelaient, les oiseaux se cachaient, les chasseurs se chauffaient. Mes trois compagnons avaient repéré que la Chalaronne coulait tout l’hiver sans être prise par la glace. Il était donc important de pouvoir fréquenter l’eau vive où quelques rougeots venaient barboter.

Ces deux préalables avaient conduit mes trois compagnons à louer quelques prés « bordiers » de la Chalaronne : histoire d’aller se promener et de se donner l’illusion de chasser ensemble. Ils m’invitèrent bien sûr à les accompagner à ce nouvel endroit magique situé en aval de Villars. Il trouvèrent un nom de code du lieu pour se fixer rendez-vous. Ils l’appelèrent « le parfum » car, disaient-ils, l’eau traversait le bourg et se chargeait au passage de tous les « déchets » des habitants. En été, l’endroit ne fleurait pas toujours très bon, mais on était en hiver ! Les effluves à peine perceptibles, la joie immense de se rencontrer, le prix peu élevé favorisèrent l’entreprise.

L’inauguration fut fixée au 21 janvier. Rien à voir avec l’anniversaire de la mort de Louis XVI et pourtant? ce jour fut aussi mémorable pour deux raisons.

1.     L’amphibie

Tout en marchant le long de l’eau, je remarque un « truc » qui avançait laissant un sillage derrière lui. Je hèle un compagnon pour qu’il vienne voir. Je lui explique ma découverte. Il me dit :

Avant que je dise ouf, mon ami déclara : «  Quoiqu’il arrive? c’est un nuisible. Je tire ».

C’était un lapin. Il fut transformé en gibelotte. La pauvre bête eut longue vie dans nos histoires.

Nous l’appelions entre nous : «  l’amphibie ».

2.     Les trois « rougeots »

Après avoir coulé le submersible, nous rejoignons les autres et leur racontons « l’amphibie ».Rires en voyant le lapin dégoulinant. Tandis que nous parlions, l’un murmura : « Baissez-vous ! ».

Nous nous baissons. Trois canards arrivent en formation. A voix basses, nous diagnostiquons « trois rougeots ». Les trois plus rapides tirent chacun une cartouche de six. Les trois volatiles tombent. Nous n’avons jamais bien compris comment le coup réussit si parfaitement sans concertation préalable.

Pour garder mémoire d’un tel événement, l’un de nous accrocha à un barbelé les trois canards et fit une photo.

C’est en regardant récemment ce cliché que j’ai pensé à l’inauguration du « parfum » et que j’ai eu envie de la raconter. Au tableau, un lapin amphibie et trois « rougeots ». Ce fut la seule fois de ma vie que je fus au « parfum ». 

Il y a plus de trente-cinq ans que nous avons vécu cette fameuse journée. Elle reste gravée dans nos mémoires. Nous en parlons encore.

Les compagnons

17 décembre 2004