Ch. 14 – Les satellites

Nous avions des amis qui nous rejoignaient parfois  « pour un coup de grives » en Saône-et-Loire : Pierre, Paul, Didier, Jacques. Nous étions fiers de leur montrer notre paradis.

Mais nous avions aussi des « satellites » qui ne faisaient pas partie de la planète « compagnon » mais tournaient régulièrement autour. Je voudrais en citer au moins trois.

René (un autre)

De métier, il était représentant. Pendant les semaines d’octobre, il faisait « craquer » la tournée des « épiciers » pour faire avec nous les « buissons ».

C’était un homme calme, courtois, paisible, un bloc de gentillesse. Il marchait lentement mais je ne l’ai jamais vu fatigué – inusable comme Michelin.

Il tirait remarquablement bien. Ses performances auraient mérité d’être inscrites à un livre des records. Adroit parmi les adroits, quand son fusil se levait, la grive tombait. Il grillait moins de cartouches que nous, mais tuait plus de gibier. Il avait une grande maîtrise. Sans émotion, il laissait filer. Si pas dans l’axe, il renonçait et continuait d’avancer avec précaution, sans bruit. Au bénéfice de l’âge, il patrouillait autour des pâtures et ne franchissait pas les haies épaisses.

Nous aimions beaucoup lorsqu’il nous rejoignait pour trois ou quatre expéditions.

André

Un grand sec. Quand je l’ai connu, il était « hors d’âge ». Été comme hiver, il s’habillait copieusement, soit pour se défendre de la chaleur, soit pour se protéger du froid.

Il avait été garde chez des châtelains et racontait volontiers des histoires d’avant-guerre. Nous aimions le relancer pour écouter à nouveau des « fables-vraies » qu’il mimait avec des moulinets de ses longs bras et des expressions de son visage. Un régal. Comme Devos, il ménageait ses effets.

Son chien, un kortal extra, régulier comme lui, marchait au rythme de son maître. On n’a jamais bien su qui accompagnait l’autre. Il l’appelait affectueusement l’ours et lui demandait son avis..

Il était marié à une femme excellente qui nous accueillait avec le sourire quand nous passions le prendre à Cormatin. Il en parlait avec une tendresse qui lui était propre. Il lui faisait pourtant un reproche, celui de parler trop vite. Dans l’intimité, il l’appelait « ma quatre cents coups minute », vieux souvenir de biffin.

Il pensait que « si l’argent ne fait pas le bonheur, il est quand même bien pratique pour faire les commissions ».

Il ne poursuivait pas avec nous les grives. « Y-est-trop petit ». Avec l’ours, il parcourait la plaine, tandis que nous escaladions le vignoble.

C’était notre maître « es perdrix ».

Jean

Un « maquignon », droit, honnête, sans mensonge, cheveux argentés, sourire permanent, bonhomie constante.

Sur les foirails, il faisait autorité. Tous les acheteurs pouvaient se fier à sa parole. Sa personnalité reflétait un sourire à la vie. Il ne manquait pas de ruse, mais une sorte de majesté émanait de lui. Sauf l’un de nous qui l’appelait par son prénom, nous lui disions « Monsieur ».

A force de rôder dans les champs pour surveiller ses bêtes à l’embouche, il connaissait tous les gîtes de lièvre et pouvait même dire à l’heure où chacun était fréquenté. Le « fréti » n’avait pas de secret pour lui.

Dix cartouches – dix lièvres… et il ne tirait jamais un lièvre blotti…

C’était notre agent de renseignement lorsque nous voulions manger du civet.

Le hasard des commissions dans mon quartier du Huitième m’a un jour permis de rencontrer un de ses fils, établi charcutier à Lyon. Avec lui, j’ai parlé longuement du papa. 

Temps bienheureux qui se termina avec la décennie 80.

Les compagnons

17 décembre 2004