Un ami strasbourgeois ecclésiastique qui avait de nombreuses relations dans son diocèse m’avait une fois promis de me faire inviter à une « grande » chasse par l’un ou l’autre industriel de ses connaissances. Ce jour arriva.
Le matin, un chauffeur vint me chercher chez mon ami où j’avais passé la nuit. Il avait mission de me conduire dans un petit village blotti au bord de la forêt de Marienthal. Je fis la connaissance de mon hôte et de ses invités : une trentaine de « fusils », rien que du beau monde.
Après les salutations et les politesses d’usage, la petite troupe transportée par un mini-bus pénétra jusqu’au cœur de la magnifique futaie.
Là, dans une clairière :
Les « fusils » furent invités à faire cercle. Au milieu se tenait le « Maître » de la chasse. Il nous salua chapeau bas. Les « fusils » se découvrirent aussi dans un silence liturgique. Ils écoutèrent quelques mots aimables et délicats. Nous remîmes nos chapeaux. Je regardais faire mes voisins et les imitais.
Le régisseur nous donna des consignes :
Ignorant, j’ai demandé à voix basse à mon voisin : « A quoi reconnaît-on une femelle au galop d’un mâle qui court vite ? » Il me répondit d’un air entendu : « On tire d’abord puis, si on tue, on va voir ensuite ».
A cette époque, on chassait encore avec des cartouches chevrotines 18 grains.
Un garde descendu d’une image d’Épinal nous prit en charge. Il marchait au pas de l’oie mais à reculons, sans perdre de vue la file silencieuse des « fusils ». Sans un mot, rien qu’un geste péremptoire, il assigna à chacun son poste. Tous les soixante-dix mètres environ, il y avait quelqu’un.
Au bout d’un moment, le son de la trompe autorise à charger le fusil. Collé contre le bois, l’oreille aux aguets, chacun guette – bruit de casseroles – cris – galop lointain – une bête traverse- demi-tour, un lièvre à trente mètres- pan, au moment où il saute au bois – roulé-boulé. La consigne, c’est la consigne. Je ne me déplace pas. Le garde ira chercher.
De traque en traque, la matinée se passe selon les mêmes protocoles.
Vers midi, lièvres, chevreuils, s’entassent. Les camions frigorifiques embarquent le tout sans un mot. On est déjà à l’étal des halles.
Les deux groupes, « fusils » et « rabatteurs », processionnent sans se confondre vers une vaste tente. A l’apéritif, champagne. Puis buffet généreux, café, liqueur, et encore liqueur…
Dans le groupe des « fusils », on se parle d’un ton grave. Monsieur le sénateur, Monsieur le député, mon colonel, cher président. Moi, on m’a affublé du titre de Monseigneur. Pour chasser à ce niveau, il faut se hausser du col.
Dans le groupe « Jacquou le Croquant », on a l’air de bien rire, on s’esclaffe, on se tutoie. Une ambiance fête.
L’après-midi, « même punition – même motif » que le matin… sauf qu’il était prudent de se cacher derrière un gros arbre car l’alcool aidant, plombs et chevrotines sifflaient ça et là.
Vers 16h30, retour en mini-bus jusqu’au village-auberge, bière, cigare, col dégrafé. À 19 h, on chantait et on buvait toujours. Certains mettaient même de l’eau de vie de prune dans la bière. J’ai assisté à une nouvelle ballade en prose manière Daudet : « Le sous-préfet à l’auberge ».
À 20h30, le chauffeur me ramena chez mon ami. Avec sa mère et sa sœur, ils avaient déjà mangé et priaient ferme pour le repos de mon âme, persuadés, tant j’étais en retard, que je l’avais rendue au coin d’un buisson.
27 décembre 2004
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