Ch. 22 – Buisson creux

Le dimanche, quand l’ennui parvient à me tirer du monde fermé de la lassitude, je remonte le temps comme jadis j’arpentais un chaume à la saison des cailles. Pas besoin de bottes ! Des pantoufles suffisent pour mettre de l’ordre dans les papiers que j’ai naguère écrits et entassés.

À la billebaude, je parcours une sorte de maquis dense et misérable, luxuriant et épineux. A côté de moi, ma fidèle corbeille à papiers, insatiable, avale les reliefs inutiles. Quand elle déborde, j’arrête de battre les grandes cannaies des vieilles décennies et reviens à aujourd’hui, ébaubi de ce long périple.

Souvent, je ne sauve la bredouille que de justesse : rien que de la broutille. Parfois, dans une gibecière, deux ou trois pièces. Je les ai ramassées et les ramène pour les goûter de nouveau avant que le temps ne les dévore définitivement.

Au début de février, au moment où les cols verts se mettent en couple, je suis allé fureter dans la garenne des années soixante-dix. Mon premier carton portait comme inscription : « Pastorale urbaine ». J’ai débusqué un texte que j’avais intitulé : « Quelques notes sur l’aventure mystique ». Il était au gîte depuis vingt-quatre ans ! Ce ne fut pas difficile de m’en saisir. Pourtant, au bout de quelques minutes, c’est lui qui m’a « saisi ».

Mon texte avait encore l’œil vif et le poil luisant. Mais, solitaire et sans fécondité, il n’avait rien engendré. Les larmes me vinrent aux yeux. Le mot échec m’a traversé. Le gibier que j’avais jadis acclimaté était encore là, intact, mais sans descendance. Je retrouvais ma mise, mais elle était frappée de stérilité.

Depuis cette promenade dans l’arrière-pays pastoral, une expression de vénerie me revient souvent en mémoire : « Buisson creux ». On emploie ces termes quand on croit la bête rembuchée et qu’en arrivant, on ne trouve que la place chaude et désertée.

Mais, cette fois, le « Buisson creux » n’est pas en face de moi. Il est moi.

L’animal n’a pas fui avant que je ne l’approche. C’est moi qui me suis dérobé à la sauvette, sans même m’en rendre compte. Je n’ai pas eu le courage ? J’ai manqué mon coup ? J’ai eu peur ? Je ne sais !

Ce texte souligne qu’à l’époque, j’avais compris quelque chose, voire entendu un appel que je n’ai pas transformé en réalité. J’ai écrit, formalisé, puis rien…

Sans aucun doute, rien n’est perdu et cette aventure ne fera pas claudiquer le dessein de Dieu. L’échec n’est pas une honte, mais un moment d’appel. D’autres réussiront là où je n’ai pas osé. D’autres, à leur manière, sous d’autres formes, dans un autre contexte, actualiseront l’aventure mystique du Sinaï, du Thabor, de l’Horeb ou du Golgotha. D’autres, au sein de la modernité, ouvriront les voies d’une mystique : passion des hommes et union à Dieu.

Le Buisson creux appelle une autre plénitude.

De la chasse

18 mai 2005