Luc 2, 46

Un enfant chez les savants

Marie et Joseph, qui avaient pourtant l’un et l’autre de bonnes raisons de savoir la filiation divine de Jésus, ne le cherchent pas au bon endroit. Tout se passe comme si la connaissance du mystère ne les guidait pas dans leurs recherches ; à moins que l’affolement ne les égare ! À rebours, ils remontent la caravane des pèlerins pour trouver celui que l’ange ou les songes leur avaient annoncé. Il ne leur vient pas à l’idée de le chercher dans le Temple.

Est-ce qu’ils se trompent ? Ou si, au contraire, ils ont déjà bien intériorisé, depuis douze ans de vie obscure à Nazareth, que c’est lui, Jésus, le Temple de Dieu et que sa résidence n’est pas dans une bâtisse même prestigieuse, construite à mains d’hommes, mais dans l’humanité en marche qui, dans la force de l’Esprit, s’ouvre un chemin commun.

Je ne sais pas ! Et c’est bien ainsi car il ne faut pas trop savoir, mais juste apprendre à lire les Écritures, pour ne pas s’embrouiller les idées et vivre dans la simple intelligence de la foi.

Tandis que Marie et Joseph, inquiets, questionnent les uns et les autres : « Jésus est-il avec vous ? », Lui, tranquille et paisible, est assis au milieu des savants qui épluchent la Loi et la pressent pour en extraire le meilleur et le pire.

Ces savants ne savent rien. Ils ont à portée d’yeux, d’oreilles et de mains le Verbe, mais ils n’en profitent pas. Leur grand savoir les aveugle et lui, Jésus, innocent comme un élève de sixième qui se serait égaré au CADIR (Centre pour l’analyse du discours religieux), « les écoute et leur pose des questions ».

Le bambin semble avoir découvert tout seul que les affaires de son Père se gèrent par l’écoute et l’interrogation. Il n’enseigne rien? mais il donne à ces « chenus » l’occasion de parler. Il agit avec une âme d’enfant. Il désire recevoir la tradition des anciens, non pas pour s’enfermer dans le passé, mais pour critiquer aujourd’hui et l’ouvrir à l’intelligence de demain. Le véritable disciple ne répète pas les slogans de ses maîtres, mais il invente sa propre pensée à partir de ce qu’il a retenu de leur enseignement.

Jésus donc « écoute » et « interroge » ce qui revient à dire, d’une part, qu’il invite à prononcer une parole originale et que, d’autre part, il donne à quiconque le désir de chercher en lui-même des éléments pour une réponse claire.

Écouter consiste à prêter l’oreille pour que l’autre s’exprime ; l’interrogation ne vient que s’il y a une panne d’audition. L’écoutant ne fait pas semblant de s’intéresser. Il a plaisir à entendre dans le langage d’autrui l’essentiel humain qui se balbutie. La simple écoute suscite la Parole. Elle est tellement humble et attentive que les savants se noient dans leur suffisance. Leur jargon disparaît, leurs formules toutes faites s’effacent ; s’ils prennent la parole, ils parlent vrai.

Jésus, assis dans le Temple, au milieu des docteurs, poursuit sa grande passion humaine commencée dans le secret de Bethléem ; elle continuera sans relâche dans la compassion pour son peuple et, comme le fait remarquer saint Luc, elle se terminera tragiquement quand le « rideau du Temple se déchirera par le milieu » (Luc 23, 45). Le Christ devient le seul sanctuaire. Les vrais savants se convertissent en serviteurs.

Cet événement peu vraisemblable de Jésus au milieu des docteurs de la Loi invite pourtant tous les baptisés à être de pauvres écoutants, pleins de douceur et d’attention pour que ceux à qui le monde suffit, cherchent en eux-mêmes les réponses qui dérangent et ouvrent à l’infini.