Je suis un maniaque de l’exactitude. L’attente d’après l’heure fixée devient rapidement une angoisse que je sais malsaine mais je n’arrive pas à m’en débarrasser ! L’outrance trône au 303. En quatre pièces, cinq réveils se conjuguent pour me montrer l’heure juste. De plus, un carillon sonne trois minutes en avance pour m’avertir que ça va être l’heure. Dans ma chambre à coucher, se trouve un autre carillon mais il ne marche plus. Son insolent silence me contrarie. Il est joli, mais c’est un cadavre ; il ne palpite, ni ne parle. Enfin, je viens d’acquérir un horodateur qui, en plus de l’heure juste et de la date du jour, m’annonce si on est le matin ou le soir.
Est-ce que tout cet appareillage me rapproche de l’Heure du Salut ou nourrit ma névrose qui monte du fond des âges ? Je me souviens de ma grand’ mère que j’interrogeais quand, tout petit enfant, j’entendais sonner le clocher du village. Comme elle n’en savait rien, elle me répondait d’une voix sentencieuse : « Il est l’heure d’être sage et de prier Dieu ». Cette frustration est-elle à l’origine de ma névrose ? Je ne sais si mon « malheur » vient de là ou des trams de Saint-Cyr que j’ai manqués, faute d’arriver à temps.
Le retard de l’infirmière m’a laissé le temps de rédiger ces lignes.
Les dictionnaires furent mes compagnons de travail, ils devinrent mes amis. Aujourd’hui, ils sont trop lourds et volumineux. Ils couvraient un large espace du savoir religieux, littéraire. Rechercher en eux la bonne réponse à mon ignorance devient un exploit. Je ferais sans doute mieux de les donner tout de suite au lieu de les léguer. Je vais voir comment ordonnancer cette remise à des plus jeunes. Et moi, je me contenterai d’un disque dans mon ordinateur. Ce sera plus à ma portée. Je vais m’orienter dans ce sens.
Un audioprothésiste est venu me voir et prendre les empreintes de mes oreilles pour me confectionner des appareils. Le prix est exorbitant : plus de 2.600 euros, même si la Sécu, la mutuelle, la MIRL, prennent en charge une somme importante. A quatre-vingt-douze ans en ai-je vraiment besoin ? J’entends suffisamment pour un dialogue en vis-à-vis. Il faut que j’en parle avec Marie-Antoinette. Ne rien entendre dans le brouhaha, est-ce un motif suffisant pour à mon âge me faire appareiller ?
25 novembre 2020
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