Ch. 10 – Racines en Dombes

René m’introduisit dans le réseau de ses amis chasseurs. Une société d’hommes simples et bons qui m’accueillirent sans me poser de questions. Ils avaient compris que j’aimais chasser, cela leur suffisait. Même si, depuis leur première communion qui ne datait pas d’hier, il n’avait pas côtoyé de prêtre, ils me firent une large place. C’était à qui m’inviterait, soit à la passe du soir, soit à une journée toute entière. Chacun rivalisait de gentillesse pour reposer l’abbé de ses supposées lourdes charges pastorales. Parfois, à table, l’un ou l’autre me taquinait, mais tous sur le terrain me criaient « A toi ». S’étaient-ils renseignés au préalable sur mon identité et sur ma situation ? René ne me l’a jamais dit. Ils m’ont vite adopté et nous manœuvrions ensemble avec confiance, si bien qu’en une saison, je fis partie du décor.

Ni obséquieux ni salaces, leurs propos traduisaient leur bonhomie et la joie de la camaraderie. Ils ne ressemblaient ni à « Bats les  Herbe », ni à « Badollet », leurs chiens ne pouvaient être comparés ni à « Tune »  ni à  « Pluto », « braques allemands » solennels ou « bretons » furtifs, ils avaient, eux, de  la prestance

Sauf en quelques séances programmées pour le furetage des lapins nuisibles, la majeure partie du temps était consacrée aux canards, lièvres, faisans, perdrix, bécasses et grives. Je débarquais sur une autre planète et jouaient dans la cour des grands

Si certains étaient adroits et manquaient rarement un gibier, d’autres étaient encore plus maladroits que moi, c’est dire qu’ils ne dévastaient pas la faune !

            Le premier jour de mon arrivée dans ce cercle mythique pour moi, le hasard d’une manœuvre me conduisit à contourner « un maïs » avec un inconnu un peu plus âgé que moi. Le champ était long, nous passions au large et parlions à voix basse pour ne pas déranger la traque. Il fallait plus de cinq minutes pour se placer « en » bout. L’homme, dont je ne me souviens plus du nom, me murmura à l’oreille : « tout à l’heure aux présentations, j’ai entendu que vous vous appeliez Montfalcon. Est-ce que vous seriez parent à l’abbé Christian Montfalcon que je connais bien ? ».

Lorsque je lui ai avoué que j’étais celui qu’il croyait bien connaître, j’ai senti comme un fléchissement en lui. Je ne l’ai pas quitté du coin de l’œil car j’ai eu peur qu’il ne s’effondrât, terrassé par une crise cardiaque.

Il tint le coup et digéra sa bévue, il est vrai qu’il était huissier et habitué à de plus fortes secousses.

…Nous marchons ferme, arrivons au bout, il se place à la corne droite, moi à la gauche. Nous avons l’occasion de tirer des perdrix. J’en tue une, lui manque son coup… je me suis  demandé si je ne l’avais pas déstabilisé par mon aveu.

Les compagnons

17 décembre 2004