Une autre lignée
L’Évangéliste Luc, que l’on dit médecin, consacre une soixantaine de versets à la fécondité du couple de Zacharie et d’Élisabeth.
Ils n’avaient pas eu d’enfant. C’était leur peine et leur honte. Ils se croyaient peut-être éloignés des bénédictions de Dieu. Pourtant, ils avaient l’un et l’autre des ancêtres prestigieux. Lui et elle descendaient chacun d’une lignée sacerdotale incontestable et, de plus, ils vivaient comme des justes.
Un jour, Zacharie, membre d’un groupe sacerdotal, alla offrir l’encens dans le sanctuaire. Il fut visité par un ange qui lui annonça que son épouse aurait bientôt un enfant. Il douta. Lui était vieux et sa femme avait dépassé l’âge d’être enceinte. Son incrédulité lui valut d’être muet. C’est la confiance qui fait parler. Il devrait attendre la naissance du rejeton pour retrouver la Parole.
Malgré sa vieillesse, Élisabeth attendit un enfant. Marie, la mère du Verbe vint visiter sa cousine. Elle resta trois mois.
Quand vint le moment de l’accouchement, la femme de Zacharie mit au monde un fils fruit de la miséricorde de Dieu. Se posa la question : quel nom donner au primipare de la grâce ? Les voisins pétris de tradition voulaient que l’enfant s’appelle comme son père. Élisabeth s’insurge : « Non ! » Zacharie écrit : « Son nom est Jean ». Il reconnaît le don de Dieu, retrouve la parole, prophétise et bénit le Seigneur.
Même s’il est tout à fait comme les autres nourrissons, Jean n’est pas seulement de la lignée prestigieuse de ses ancêtres. Il est « à part ». Enfant de deux vieux parents, il est aussi et d’abord de la famille des « grands destins » choisis par Dieu pour innover, achever un temps et permettre à un autre de s’ouvrir. Il ne perpétue pas une tradition honorable : rien ne sert en effet de se réclamer des vénérables anciens. Ce n’est pas parce que « ça » s’est toujours fait qu’il faut que « ça » continue. Il invente, non par caprice, fantaisie ou bougeotte, mais pour préparer la voie au Seigneur.
Il choisit de vivre au désert. Il ne lève pas d’armée. Il lui suffit de se convertir et de prêcher la conversion. Il parle haut et ferme à tous ceux qui viennent le rencontrer. Ses thèmes majeurs : pauvreté, frugalité, honnêteté, justice, vérité… Il se les approprie afin de les transmettre. Il parle pour que tous ses visiteurs puissent se préparer et bénéficier de la Parole. Il ne va chercher personne. Sa quête de Dieu suffit. Elle attire.
D’ailleurs, s’il se fait des disciples, c’est pour qu’ils deviennent apôtres du Christ.
Oui ! Jean, puisque Jean il se nomme, est d’une autre lignée. Avec lui, les modèles de prêtre et de prophète se cassent. Le Messie peut ouvrir les temps nouveaux. La fidélité n’est plus jamais réplique du passé. Chaque jour, l’offrande prépare demain et, demain comme hier, porte en lui les germes de l’éternité. Au ras de la terre et de la vie journalière, un monde inédit se profile. La fidélité trouve à chaque instant des formes étonnantes.
Sans dénier à Dieu le droit de se donner des prophètes qui finissent ou inaugurent une période, je crois que tous les baptisés sont, par nature, d’une autre lignée. De droit, par héritage en ligne directe de Jésus, il leur revient d’annoncer une bonne nouvelle, radicalement neuve.
Même si le Christ nous engendre et nous donne gratuitement un statut qui dépasse celui du Baptiste, nous avons beaucoup à recevoir du précurseur. Comme lui, nous devons nous convertir sans cesse pour conclure avec délicatesse les grandeurs anciennes et ouvrir chaque jour, sans nous lasser, une ère de renouvellement où s’annonce l’Alliance en Christ.
22 janvier 2010
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