Dans ce texte de juillet 2004, Christian Montfalcon raconte comment est né sa passion pour la chasse.
En septembre 1945, je n’avais encore que 16 ans.
Il me semble que cette année-là, j’avais lu dans les journaux que la chasse allait de nouveau ouvrir en France.
Personne dans ma famille ne chassait ou n’avait chassé. Dans les placards, il n’y avait donc ni fusils, ni cartouches, ni même gibecière, ni rien… D’ailleurs, pendant la guerre, les troupes d’Occupation avaient interdit, sous peine de très graves sanctions, de posséder armes et munitions.
Un jour, mon frère Marc, mon aîné de huit ans et qui devait mourir prématurément miné par la tuberculose, me dit : « Et si nous allions chasser » ? Cette phrase me fit l’effet d’un électrochoc. Elle me remua jusqu’au fond des tripes. Nous nous sommes mis à rêver d’armes, de chiens, de territoire giboyeux…
C’est extraordinaire comme surgissent les passions. Tout devient prétexte : tous les détails de la vie se mirent à parler « chasse ». Restait à concrétiser et à réaliser notre projet irréel. Nous étions déjà à l’affût.
En un an, nous avons trouvé deux vieilles pétoires, des douilles vides aux amorces désamorcées, un matériel usagé pour sertir les cartouches, des ustensiles pour doser la poudre noire, et d’autres bricoles qui étaient des trésors fabuleux pour nous deux.
En ce temps-là, les armureries étaient totalement démunies. Au risque de faire sauter la maison ou de faire éclater nos fusils débiles et de nous mutiler gravement, nous avons entrepris de confectionner de la poudre « jaune » avec des ingrédients acheté chez les frères Salzy, droguistes dans la grande rue de Vaise. Joseph Charroux, le fermier de mes oncles, nous avait livré « son » secret de fabrication…
Pour réamorcer nos cartouches, nous utilisions du fulminate que nous trouvions dans les pétards appelés bouchons. Monsieur Fourel, le buraliste de la place de la mairie, nous vendaient innocemment ces « jeux » d’enfants.
Fous, nous étions fous. La passion nous aveuglait…
Restait à récupérer des plombs. Nous nous sommes souvenu qu’un neveu de la tante Juliette dirigeait une usine qui fabriquait à Neuville-sur-Saône des plombs de chasse. Nous sommes allés mendier ; il nous en a donné plusieurs kilos. Ils ont remplacé la grenaille que nous avions trouvée dans les contrepoids des lampes à suspension.
Il faut que j’avoue ici l’essai infructueux que nous avions tenté en précipitant du plomb en fusion du premier étage dans une lessiveuse d’eau savonneuse placée au rez-de-jardin, à l’aplomb de la fenêtre.
Je vous raconte cette histoire, non pas glorieuse mais honteuse, pour faire mémoire d’une passion dévorante qui à seize ou dix-sept ans, peut obnubiler toute réflexion.
Je croyais à l’époque que tout est possible quand on le veut. Depuis, j’ai appris à être réaliste. Heureusement !
Les événements et les responsabilités m’ont efficacement enseigné la patience, la prudence et tous les autres mots en « ence » (en ance) qui, accrochés à des adjectifs, signifient la qualité de ce qui EST.
En repentance,Christian Montfalcon, le 28 juillet 2004
in Cyneget (2004-2005)
28 juillet 2004
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