« Tant que l’on n’est pas en route, tant que l’on n’a pas rompu les amarres, on ne peut que projeter de l’ancien dans ce que l’on voudrait neuf »
Dimanche, je suis allé au temple luthérien de la rue Fénelon. Le pasteur Jousselin célébrait un culte d’au-revoir. Il quitte sa communauté lyonnaise avec Isabelle, sa femme, et ses trois enfants. Il part pour Strasbourg animer l’aumônerie luthérienne des étudiants.
Le pasteur a prêché. Il a articulé son prône autour de deux verbes, deux actions, se lever et partir, se lever-pour-partir.
Se lever. S’arracher au sommeil, quitter le repos, répondre à une détermination intérieure, se disposer à l’action, être disponible à un appel. La bible emploie ce terme très fréquemmen. Il semble même que, dans le Nouveau Testament, il prend particulièrement le relief que Bruno Jousselin s’est plu à souligner.
Ce qui revient à dire : « Lève-toi pour une action banale. Tu as l’autonomie et la liberté de le faire. Ressuscite dans ce que tu fais déjà« . Cela, le pasteur ne l’a pas explicité mais c’est ce que j’ai entendu.
Partir. Bien sûr, on pense tout de suite à l’acte de foi d’Abraham que chacun de nous tente de vivre à sa taille et dans les contradictions de ses peurs. Dans le livre de la Genèse, Dieu dit à Abraham : « Pars de ton pays, de ta famille, de la maison de ton père » (Gn 12). « Pars » a bien des synonymes : va, quitte… A la parole de Jésus, Mathieu, le percepteur, « quittant tout, se leva et se mit à le suivre » (Lc 5, 28).
Tous ces gens se lèvent, partent, quittent. Ils ne savent pas précisément où ils vont, ni pourquoi, ni avec qui ils vont agir. Dans leur liberté d’amour, ils se laissent guider. Pourtant, ils ne sont pas « aveugles ». Ils voient, ils croient, ils savent en qui ils placent leur Espérance.
La déception ne peut pas les atteindre car ils avancent à leur pas, sans contrainte. Leur guide leur a promis la liberté. Ils inventeront leur route selon ce qu’ils découvriront en chemin. Ils ne s’enferment pas dans un projet, mais ils ne sont pourtant pas abandonnés. Ils consentent à devenir autres sans savoir a priori « comment cela va se faire ».
Projet minimum, programme restreint, l’aventure est en eux-mêmes. Ils ne soupçonnent pas d’avance le trésor qu’ils vont trouver. Mais leur trésor consiste dans le fait même de se lever et de partir : marche de Résurrection.
Tout cela rejoint ce que m’ont dit Pierrick, Michaël et tant d’autres. Tant que l’on n’est pas en route, tant que l’on n’a pas rompu les amarres, on ne peut que projeter de l’ancien dans ce que l’on voudrait neuf.
Nous sommes trop dans le rafistolage ou le perfectionnement. La vraie nouveauté ou la nouvelle vérité ne se découvre que dans les brumes de la confiance : je consens car je sais que je verrai.
La volonté de Dieu n’est pas précise. On ne peut la suivre que si, librement, on la trouve et l’invente selon l’Évangile relu par soi-même et avec d’autres.
27 juin 1995
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