« Nous sommes des gestionnaires, nous devons rendre des comptes au peuple et ce qu’il possède ne nous appartient pas
Hier, à l’archevêché, à la fin du conseil que je présidais pour la dernière fois, les collègues ont fêté l’événement avec gentillesse. Ils avaient demandé à Pierre Berthelon d’exprimer en leur nom quelques propos aimables. Il le fit avec délicatesse. Il m’assura que, durant ces quelques mois d’administrateur, « le diocèse m’avait apprécié parce qu’il m’avait mieux connu ». Phrase étrange.
Pendant plus de trente ans, j’ai occupé des fonctions qui m’ont tenu sur le devant de la scène et voilà que, pendant un peu plus de dix mois, quoique emmitouflé dans la préséance, les gens disent me mieux connaître.
Est-ce parce que j’habitais sur la colline ? Est-ce parce que j’écrivais régulièrement dans Église à Lyon ? Est-ce parce que, furtivement, la télévision a montré quelques images ? Ce n’est quand même pas par trois ou quatre sermons d’une grande banalité que l’on a découvert mes talents ! Ce n’est pas par un communiqué de presse laconique sur les commandos IVG que l’on m’a trouvé exemplaire ! Je n’ai rien fait d’extraordinaire, rien cassé, rien proclamé. Je n’ai pas osé mettre de l’ordre en des situations difficiles. Je n’ai pas tenté l’opération chirurgicale qui aurait pu rendre plus alerte le diocèse. Non, je ne vois pas !
A moins qu’une autre phrase éclaire la première affirmation. Pierre ajouta : « Tu nous as fait travailler, beaucoup travailler ». Ces derniers mots expliquent peut-être les premiers. Ce dont les collaborateurs raffolent par-dessus tout, c’est de travailler et de donner leur pleine mesure. Ils souhaitent avant tout que le patron délègue et vérifie… et surtout qu’il n’agisse pas.
Une conclusion à peine hâtive pourrait être tirée : le diocèse m’a mieux connu, parce que je n’ai rien fait et que j’ai fait faire. Les gens ont rêvé, ils m’ont imaginé, ils m’ont recréé comme ils auraient aimé que je sois. Ils m’ont remodelé selon leur propre image. Alors, ils m’ont apprécié, surtout parce qu’ils ne me voyaient plus !
Même si je sais paradoxale ma réflexion, je la crois juste. A cette petite fête impromptue, mes collègues membres du conseil m’ont offert quelque chose qui ne leur appartenait pas. Ils m’ont donné un « bien » du diocèse. Je le trouve très joli, mais je n’ose pas le « garder », car je ne peux pas « recevoir » pour moi ce qui appartient à autrui. Un patrimoine collectif ne peut être « cédé » que par un collectif et encore je n’en suis pas sûr. Je m’en suis tiré en déclarant que je recevais ce présent pour mon usage et qu’il restait propriété du diocèse. J’ai été heureux de ce cadeau et effaré de la dilapidation des « biens sociaux ». Ceux qui sont au pouvoir peuvent en arriver à cette confusion. Il faudrait qu’ils comprennent que le diocèse, ce n’est pas eux et que le temps de Louis le Quatorzième : « L’État, c’est moi » est révolu.
Cette anecdote explique bien des déviations et un cléricalisme ambiant.
Nous sommes des gestionnaires, nous devons rendre des comptes au peuple et ce qu’il possède ne nous appartient pas.
26 juin 1995
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